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« Danseuse aux seins nus… Comme à la fin du Plus Grand Cabaret du Monde. » Voilà à quoi rêvait Meg Boury plus jeune. Aujourd’hui, celle qui a « un pied dans l’art contemporain et l’autre sur un plateau » ne se produit pas en primetime. Pour autant, à 27 ans, l’artiste, performeuse et plasticienne multiplie les dates, les projets, les collaborations tout en sachant constamment où donner de la tête.

 

La jeune femme, diplômée de l’École des Beaux-arts de Nantes en 2019 et fidèle du TU, défend aujourd’hui Une histoire de la frivolité entre marais et champs, « performance née d’un objet : une jupe de cancan que j’ai fabriqué et qui reprenait l’étendard de Jeanne d’Arc. J’ai alors imaginé un personnage que je souhaitais faire s’échapper de l’image de la pucelle pour dessiner les contours d’une femme plutôt provoquante ». Au fil de ses recherches, elle a fondé une belle famille dans laquelle se croise Mata Hari, Madonna, Salomé, princesse de Judée, et…Meg Boury. « Toutes pourraient être le même personnage et toutes pourraient être moi. Une histoire de la frivolité est à la fois transgénérationnelle, mythique, historique et réel. Tout s’imbrique ». Tout se créé et tout se transforme aussi. La performance ne puise ainsi pas sa source du côté de Wikipédia. Meg Boury s’amuse du vrai, du faux, du réel, de l’imaginaire, du mythe, des représentations. « Je parlerai davantage d’un spectacle politique que d’un spectacle engagé ; dans le sens où le corps est politique. C’est un outil pour transmettre des convictions. Alors oui, je suis féministe. La question ne se pose même pas. Tout du long du spectacle, je suis à poil à convoquer des femmes engagées. Et le style new burlesque que je défends est ma réponse face à la réappropriation du regard que des personnes peuvent poser sur notre corps. Je le tourne en dérision. Faire cela, c’est politique ».


Il est désormais loin le temps où Meg Boury se demandait ce qu’elle faisait aux Beaux-arts. « Lors d’un workshop animé par Aurélie Ferruel et Florentine Guédon - duo d’ artistes dont je suivais déjà le travail, j’ai trouvé ma recette : je ne voulais plus simplement être une bonne élève mais exprimer une individualité. À cette période, j’étais dans la performance, le corps. Je fabriquais peu de choses. Voire même pas du tout. Ce workshop m’a invité à présenter des objets et pas seulement à les représenter ».
Tout ce que vous verrez donc sur le plateau d’Une histoire de la frivolité entre marais et champs est la concrétisation du chemin de pensée arpenté par l’artiste. Son discours ne souffre d’aucune imprécision. Même le titre. « Une histoire de la frivolité est la traduction littérale du titre d’un film espagnol de 1967 qui est à la source de l’univers plastique de la performance. Entre marais et champs vient du nom de la paroisse d’à côté où je suis née : La Trinité entre marais et champs. Cela me ramène à moi, à mes origines. Mon travail porte une forte dimension intime. Je ne joue jamais de rôle. En filigrane, mon travail dit constamment d’où je viens. C’est important ».
Plus important que de savoir ce qu’elle fera plus tard. Demain, on verra.
Mais en tous les cas, aujourd’hui, maintenant, en compagnie de son club des cinq, Meg Boury s’apprête à faire tourner les têtes.

Qui es-TU Meg Boury ?

Portrait écrit par Arnaud Bénureau en juin 2023 pour le magazine de la saison 2023-24 du TU-Nantes 

On sait tout.e.s les deux que je ne suis pas ce dont tu as besoin

Notes sur Meg Boury par Eugénie Zély 

Le travail de Meg Boury se déploie dans trois dimensions : celle du show, celle de l’artisanat et celle de l’image. 

Elle questionne la relation qu’elle entretient avec le territoire dans lequel a germé son travail : la Vendée et par extension les relations que nous entretenons avec nos territoires, leurs rituels et les mondes vernaculaires qu’ils produisent. La question posée par Meg Boury est celle de l’incorporation de nos territoires dans nos chairs. Elle a le goût du terrain, de la rencontre, des dialogues, aucun cynisme dans les formes produites. À partir de cette expérience du terrain elle développe des histoires qui deviennent des performances (Western Love Story, Le Trophée etc.) des objets de scène (Les Pointes, le tablier, le plateau etc.) ou des images (New Look etc.). 

 

My Cotton Eyed Joe est une vidéo au ralenti de Meg Boury et Lane Shaw, un jeune rancher rencontré au Texas dont elle est tombée follement amoureuse, se préparant à poser pour une photo ensemble. Elle porte les chaps confectionnés avec soin pendant les mois avant leur rencontre et achevés après son retour des USA. Les chaps sont un vêtement de protection pour cowboy-girl partant des hanches et s’arrêtant aux chevilles, les chaps de Meg Boury sont faits de cuir de vachette et d’agneau, cuir plus facile à coudre car la peau des bébés se travaille plus facilement, chaps estampillés MBS pour Meg Boury Shaw, l’histoire d’amour qui n’a jamais eu lieu est poinçonnée une lettre après l’autre sur l’ensemble. De ça, naîtra Western Love Story, dialogue entre deux amoureux et le public. Western Love story est un enterrement de vie de jeune fille, un mariage et une nuit de noce. Meg Boury raconte son histoire avec Lane Shaw vêtue d’une chemise rose à frange, de ses chaps au-dessus d’un short en jean sous lequel on pourra trouver une culotte elle aussi frangée, d’un chapeau de cowgirl et d’une paire de santiags, ensuite Pascal Millet raconte en maraîchin — un patois vendéen — la difficulté d’être un homme homosexuel et rural, son histoire se finit bien, alors il offre à Meg Boury une demande en mariage auquel elle répond oui : fantasmant une vie qu’elle ne vivra pas. Ils entament la danse de la brioche. Le plateau arrive : deux fers à cheval croisés, une brioche est déposée dessus, il la serve au public. Meg Boury achève le show avec un strip-tease au milieu des restes de brioche. Doux amer souvenirs que je prends avec moi. Au revoir. S’il te plait ne pleure pas. On sait tous les deux que je ne suis pas ce dont tu as besoin. Je t’aimerai toujours1. 

 

En creux, d’autres histoires d’amour nous parviennent : celle d’avec les animaux, d’avec les rituels pastoraux, d’avec les traditions et ce qu’elles ont de puissance à rassembler, à aliéner, à nous laisser tremblant.e dans la symbiose de la communauté. Dans Le Trophée Meg Boury incarne tour à tour un footballeur, une statue, elle-même, une chatte, un.e chasseu.r.se « Nous nous construisons mutuellement dans la chaire. Partenaires réciproques, dans nos différences spécifiques, nous sommes l’incarnation d’une vilaine infection développementale qui s’appelle l’amour. Cet amour tient autant de l’aberration historique que de l’héritage natureculturel »2. Meg Boury travaille autant avec les vaches vivantes qu’avec les vaches mortes. Pas d’hésitation à utiliser le cuir, ni non plus à construire une cartouchière à partir de cuir et de munitions usagées, auquel elle ajoute des munitions en céramique — fragiles, qui ne tuent pas — cartouchière qui d’ailleurs ne correspond à aucune arme à feu. Et elle pose des couronnes sur la tête des vaches, moulent leurs bouses, bouses-trophées à la gloire de leur sacrifice. Il y a plusieurs manières de lutter. La lutte de Meg Boury se situe dans le respect des animaux, des hommes et des femmes avec lesquelles elle travaille. Si elle tue, toutes les parties de la bête sont utilisées et célébrées et chaque objet est construit pour durer. Les plumes d’oiseaux sont récoltées à la main au fil des bêtes tuées par le père. Elle prend la bête morte encore chaude et retire les plumes une à une, à la fin la bête est froide et déplumée, en même temps que cet événement a lieu, un autre se prépare. Un faisan géant fait de tissus et recouvert d’une multitude de facettes va être intégralement recouvert de silicone pour y intégrer les plumes. Pendant Le Trophée, le faisan se transforme en boule à facettes : animal natureculturel. Elle tente de dire quelque chose de la réciprocité de la domestication des animaux. Incarnant une chatte et une chasseuse, alors même qu’elle porte des ailes d’oiseaux — les chattes à l’instar des êtres humains tuent volontiers des oiseaux, les chasseurs tirent sur de petites sarcelles en échange de sacs de plâtre — fabriquées par elle, à sa mesure. Meg Boury dit — avec les façons d’une présentatrice TV, d’une chauffeuse de salle, d’un DJ de mariage — la confusion de nos chairs et de nos histoires, construisant une autre possibilité de monde avec des animaux plus tout à fait : au service, mais dont le travail et la pénibilité est reconnue équivalente à celle des êtres humains — nous rappelant doucement que certain.e d’entre nous paient elle.eux aussi de leur vie cet engagement — dont la présence n’est pas objectivée et dont les récits ne sont pas oubliés. 

1. I Will always love you par Dolly Parton, traduite par l’autrice du texte

2. Donna Haraway, Manifeste des espèces de compagnie, chiens, humains et autres partenaires, collection Terra Cognita, Éditions de l’éclat, 2001

Eugénie Zély est artiste, autrice. Elle réalise des films (C’est les vacances, 2020, Quelqu’un d’autre que moi va payer pour cette journée-là, 2019), a publié dans des revues de poésie contemporaine (Nioques, Post etc.) fait des lectures performées (Festival Extra!, Centre Wallonie Bruxelles etc.), élabore des dialogues de film (Le bal des Folles, Quentin Goujout, 2020) et écrit régulièrement pour d’autres artistes (Floris Dutoit, Georgia Nelson..) Son travail a notamment été montré au Palais des Beaux arts de Paris, à l’Ensbanm, au Centre Pompidou…

Elle est née en 1993 et travaille et vit entre la Vendée et Paris.

https://zely.me 

Communiqué de presse exposition Outdoor is Indoor

09 juillet au 31 août 2021

Clélia Berthier & Meg Boury
Commissariat : Philippe Szechter


L’épidémie du COVID combattue par les restrictions des déplacements et la fermeture des magasins a modifié notre rapport à la ville ; ville devenue ville fantôme aux magasins désertés où les marchandises se sont retrouvées bien esseulées dans leur vitrine. Ce confinement a manifestement modifié notre perception de l’espace public et entraîné des névroses provoquées par l’évitement du toucher, du contact, de la contamination1 . Aussi la vitrine est re-devenue le lieu même de la séparation avec l’objet désiré. Elle constitue un appareillage architectural qui joue entre le dedans et le dehors, un seuil entre l’un et l’autre. Le passant, le flâneur pour reprendre ce terme baudelairien, qui arpente son quartier, soumis à ses habitudes quotidiennes utilitaires est devenu plus attentif aux écrans numériques qu’à l’espace réel. C’est à lui que s’adresse cette exposition Outdoor is Indoor.
 

Zoo galerie a proposé à Clélia Berthier et Meg Boury, deux jeunes artistes nouvellement diplômées de l’école des Beaux-arts de Nantes de se confronter à cet espace particulier qu’est la vitrine souvent perçue comme métaphore de l’écran.
 

L’oeuvre que Clélia Berthier a conçue pour une des vitrines de la galerie, est une installation qui d’une certaine manière pourrait tout à fait être perçue comme un décor de magasin du type BHV. C’est d’ailleurs ce que le passant inattentif pourrait percevoir. Les matériaux utilisés par l’artiste semblent bien sortis d’un magasin de bricolage, qu’il s’agisse de la laine de verre rose qui tapisse murs, sol et plafond ou des double-colliers en laiton qui la constituent. Un socle placé presque au centre vient affirmer l’ambition sculpturale de l’artiste sur lequel repose une sorte de chapelet qui descend du mur frontal. Jusque-là les choses semblent simples mais s’insinuent des boursouflures qui sont le résultat d’une alchimie panetière. Le pain, sans jeu de mots, nous apparaît avec sa couleur dorée comme une matière sculpturale organique en rupture avec les autres matériaux employés par l’artiste. Cette vitrine elle-même se métaphore en organe corporel ? Quant au spectateur ne deviendrait-il pas médecin, invité, en face de cette ouverture transparente, à établir un diagnostic d’après ses observations les plus minutieuses ? A moins qu’une vision poétique de l’oeuvre de Clélia Berthier nous entraîne dans des rêveries gargantuesques ou des cauchemars barbiesques.
 

Plus festive, l’oeuvre de Meg Boury présentée dans la grande vitrine nous plonge dans un monde folklorique ou plutôt carnavalesque. La proposition de l’artiste découle de sa pratique de la performance et de ses liens avec la culture populaire mais aussi savante. Ce que le spectateur est amené à voir derrière la vitre est en quelque sorte la relique d’une performance que l’artiste a effectuée auparavant devant quelques personnes. La Laitière, tel est le titre de cette installation et performance qui met en scène une vache dénommée Epatante que l’artiste a confectionnéee en carton, revêtue d’un tissu noir et coiffée de plumes comme une danseuse du Crazy Horse mais chaussée de bottes en caoutchouc. Son veau costumisé comme sa génitrice que l’artiste nomme Sensation vient compléter l’ensemble pour former une famille bovine kitsch à souhait. Le burlesque est revendiqué dans cette performance qui consiste à graisser le pie de la vache, puis lui extraire son lait. La laitière, incarnée par Meg Boury, tout droit sortie du tableau de Vermeer va confectionner son beurre qui, servit sur du pain sera distribué aux spectateurs avec sa comparse Clélia Berthier. De cette scène gustative et de partage, seules la vache,le veau et le costume de la laitière seront visibles dans la vitrine dont le fond est recouvert par de la toile de paillage de couleur verte laissant le specateur imaginer l’avant ou l’après. Animer l’inanimé serait l’invitation à une suite festive que tout un chacun souhaite dans cette période faisant suite au confinement. L’artiste Meg Boury nous invite à redevenir des enfants comme Mike Kelley avait su le faire en réactivant dans sa performance Horse Dance of the False Virgin2 des photographies d’évènements de kermesses scolaires. Et finalement le tableau grandeur nature fonctionnnant comme un diorama n’est-il pas composé pour nous rappeler que le monde réel ne peut être perçu que grâce aux images que nous en donnent les artistes.


Philippe Szechter

 

1. « Si l’on se pose la question de savoir pourquoi l’évitement du toucher, du contact, de la contamination, joue un aussi grand rôle dans la névrose et pourquoi il devient le contenu de systèmes aussi compliqués, on trouve comme réponse que le toucher, le contact corporel, est le but premier de l’investissement d’objet, aussi bien agressif que tendre. L’Eros veut le toucher car il aspire à l’union, à la suppression des frontières spatiales entre le moi et l’objet aimé. Mais la destruction aussi, qui avant l’invention de l’arme à distance ne pouvait s’effectuer que dans la proximité, présuppose nécessairement le toucher corporel, porter la main sur autrui. »
Sigmund Freud, Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1993.
2. Mike Kelley, Extracurricular Activity Projective Reconstruction #32 (Horse Dance of the False Virgin), 2004- 2005

Entretien avec Anaïd Demir dans le catalogue de l'exposition Felicità, 2019

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